Théorie littéraire et philosophie de l’esprit

« L’ambiguïté littéraire de la troisième personne. Théorie du roman et philosophie de l’esprit chez Jean-Paul Sartre », in Revue philosophique de Louvain, numéro spécial« La phénoménologie et ses personnes », 2017, 115 (2), pp. 269-287

Abstract: When he was asked in 1939 to write a review of François Mauriac’s novel The End of the Night, Sartre grounded his critique of the ambiguities inherent to Mauriac’s literary style on an original theory of the literary usage of personal pronouns. Sartre establishes in this text the foundations of his literary realism, in which he rejects Mauriac’s use of the narrator’s omniscience to the benefit of phenomenological fidelity to the lived experience of human freedom. This article examines the philosophical roots of Sartre’s theory of legitimate literary use of the third person pronoun and stresses its conceptual relations with the opaqueness of self-consciousness. According to Sartre’s view, the novelist must use personal pronouns in a way that reflects the limitations of self-knowledge and that fits the specific experience of human freedom. The strong coherence that ties together Sartre’s theory of the novel and his phenomenology of consciousness does not merely justify his literary choices, but also casts light on his philosophy of mind.


Résumé: À l’occasion de la publication en 1939 d’une critique particulièrement virulente du roman de François Mauriac La fin de la nuit, Sartre élabore une théorie de l’usage littéraire des pronoms de la première et de la troisième personne lui permettant de stigmatiser les ambiguïtés inhérentes au style littéraire de Mauriac. Établissant les fondements de son réalisme littéraire, Sartre s’attache à critiquer l’omniscience accordée par Mauriac à son narrateur au nom d’une fidélité d’inspiration phénoménologique à l’expérience de la liberté et à la description minutieuse de la vie de la conscience. Cet article propose une étude des racines philosophiques de la théorie sartrienne de l’usage littéraire légitime de la troisième personne en analysant les raisons pour lesquelles l’opacité de la conscience de soi, bien qu’elle compromette la possibilité de la connaissance de soi, est non seulement inéluctable mais nécessaire à l’expérience de la liberté humaine. On entend ainsi montrer que la cohérence extrêmement forte qui rattache la théorie du roman de Sartre à ses positions philosophiques fondamentales ne justifie pas seulement ses choix littéraires, mais permet d’éclairer la teneur de sa philosophie de l’esprit.